Depuis plus de dix ans, je sillonne les routes de Pennsylvanie et de l’Ohio, appareil photo en main, à la rencontre d’une communauté aussi fascinante que discrète : les Amish. Leur mode de vie hors du temps, leur rejet des technologies modernes, et surtout leur rapport à l’image – souvent perçu comme une atteinte à leur foi – rendent la photographie particulièrement délicate. Pourtant, à travers patience, respect et des centaines d’heures passées hors cadre, j’ai pu saisir quelques moments de cette vie simple et rigoureuse.
Pourquoi les Amish ?
Tout a commencé en 2015, presque par hasard, lors d’un road trip à travers l’Iowa. Je roulais sur une route de campagne quand j’ai aperçu une calèche noire avancer lentement sur le bas-côté. À l’intérieur, une famille vêtue de tenues simples et sobres. Je n’avais jamais rien vu de tel.
Ce jour-là, je n’ai pas osé m’arrêter. Je suis resté à distance, fasciné, un peu intimidé aussi. Mais quelque chose s’est déclenché en moi. Cette image, presque irréelle, m’a suivi longtemps. Elle est devenue une obsession tranquille. Qui sont-ils ? Pourquoi ce mode de vie ? Et surtout, comment raconter une histoire visuelle sur des gens qui refusent d’être photographiés ?
C’est cette intrigue – entre fascination, respect et mystère – qui m’a poussé à revenir. Encore et encore.
📷 Une population discrète et méfiante face à l’objectif
Après cette première rencontre dans l’Iowa, j’ai décidé de revenir. Cette fois en Pennsylvanie, cœur historique de la communauté Amish. C’était en 2016. J’ai passé huit jours dans un petit village, sans autre objectif que d’observer, d’écouter, d’apprendre et, si possible, de photographier.
Mais rien n’est simple quand on pointe un appareil photo vers des gens qui refusent l’image. Chez les Amish, se faire photographier est souvent perçu comme un acte d’orgueil, contraire à leurs valeurs de modestie et de discrétion. Et pourtant, ce sont des gens d’une grande hospitalité, qui parlent facilement. Cela m’a immédiatement fasciné : Comment raconter une histoire d’un peuple qui ne veut pas être vu ?
Un jeune Amish qui rentre du travail Des Amish dans un marché aux puce
Ma force, je crois, a été d’arriver comme un étranger, un photographe français, sans prétention. Juste une volonté sincère de comprendre. Je leur ai expliqué que je voulais faire découvrir leur mode de vie en France – non pas par voyeurisme, mais par respect et curiosité culturelle.
Petit à petit, à force de retours réguliers, j’ai commencé à être accepté. D’abord par quelques familles, puis par leur entourage. Cela m’a demandé des années. J’ai appris à ne jamais sortir mon appareil immédiatement. Il fallait d’abord le regard, la parole, le silence parfois. Ce n’est qu’après avoir gagné leur confiance que certains ont accepté que je capture un bout de leur quotidien – souvent de dos, ou dans des scènes où l’identité restait protégée.
Une image rare, d’une femme Amish entrain de cuisiner chez elle. Cette famille m’a acceptée chez eux.
Ce que ces 10 années m’ont appris
Passer du temps auprès des Amish, c’est comme appuyer sur le bouton PAUSE. Quand je suis là-bas, j’éteins tout. Mon téléphone, mes mails, les notifications. Et pourtant, dans ma vie quotidienne, je passe des heures sur mon écran. Je travaille dessus, je me divertis, je me perds aussi.
Les Amish, eux, refusent tout cela. Pas de téléphone portable. Pas d’électricité. Pas de voiture. Ils se déplacent en calèche, travaillent la terre, vivent en communauté. Ils ne cherchent pas à aller plus vite. Ils cherchent à aller bien.
Ce mode de vie me bouscule. Il m’apaise aussi. Là-bas, je me sens bien. Pas parce que je fantasme un “retour en arrière”, mais parce que je redécouvre la valeur de la simplicité. Le silence. Le contact direct, sans écran. Le fait de prendre le temps.
Dans un marché Amish en Pennsylvanie
Ces dix années m’ont appris que ralentir n’est pas un échec. C’est une forme de liberté. Les Amish m’ont appris à regarder autrement. À écouter plus. Et, paradoxalement, à photographier moins mais mieux.
Conclusion : un regard, une exposition
Dix ans d’immersion, de respect, de lente construction de liens… Tout cela m’a permis de construire un regard intime et nuancé sur les Amish. Aujourd’hui, je suis honoré de pouvoir partager ce travail à travers une exposition photographique lors du 30ᵉ Carrefour Européen du Patchwork, du 18 au 21 septembre prochains, à Sainte-Marie-aux-Mines – une ville historique pour les communautés Amish.